Évaluation du dialogue bilatéral Canada-Chine sur les droits de la personne

 

 

 

 

 

 

 

 

Rapport préparé en exécution de la lettre d’entente 12800 CB du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, datée du 1er août 2005

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Charles Burton and Associates

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Version finale : 19 avril 2006

 


Table des matières

 

 

 

1.   Mandat de l’évaluation selon la lettre d’entente avec le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international 3

2.   Méthodologie. 5

3.   Introduction.. 6

4.   Perspectives de la Chine à l’égard des dialogues sur les droits de la personne  10

A.  Congrès populaire national, ministère de la Justice, ministère de la Sécurité publique, Procurat suprême du peuple, Fédération chinoise des femmes, Association chinoise des juristes. 10

B.   Centre chinois de recherche en tibétologie, Administration d’État pour les affaires religieuses, Commission d’État pour les affaires ethniques. 12

C.   Ministère des Affaires étrangères. 12

D.  ONG chinoises ne participant pas aux dialogues sur les droits de la personne. 14

5.   Perspectives du Canada et des autres pays occidentaux à l’égard des dialogues  16

A.  Gouvernement 16

B.   ONG canadiennes ayant participé aux dialogues. 16

C.   ONG canadiennes s’intéressant à des questions touchant les droits de la personne en Chine  17

6.   Constatations. 18

A.  Détermination des sujets de dialogue. 18

B.   Incidence du dialogue bilatéral en Chine. 19

C.   Transparence et participation des ONG.. 21

D.  Liste des « cas préoccupants ». 22

E.  Quelques observations générales. 24

 

Remerciements


Évaluation du dialogue bilatéral Canada–Chine sur les droits de la personne

 

 

1.       Mandat de l’évaluation selon la lettre d’entente avec le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international

 

Contexte :

Depuis 1997, le Canada et la Chine ont tenu neuf dialogues bilatéraux sur les droits de la personne. Selon le ministère canadien des Affaires étrangères et du Commerce international, le dialogue a constitué un instrument qui a permis au Canada et à la Chine d’aborder la question des droits de la personne; il a servi de tribune à la mise en commun des points de vue et des expériences sur les politiques et pratiques en matière de droits de la personne; il a donné à chaque pays l’occasion de faire connaître ses vues et ses préoccupations sur la situation des droits de la personne dans l’autre pays, et de rappeler à l’autre partie ses obligations internationales. Du point de vue du Canada, l’objectif général du dialogue est d’infléchir les pratiques chinoises touchant les droits de la personne.

 

But de l’examen et de l’évaluation :

Le présente évaluation vise à passer en revue le processus de dialogue, à déterminer dans quelle mesure il a contribué à atteindre l’objectif indiqué ci-dessus et à tirer des leçons quant aux mesures à prendre pour le renforcer.

 

Plus précisément, l’évaluation cherchera à déterminer :

 

En outre, des commentaires seront formulés sur :

 

Tâches :

Dans l’exécution de son travail, l’entrepreneur consultera/interrogera les groupes suivants :


2.      Méthodologie

 

Le consultant est allé à Ottawa en août 2005 pour y prendre connaissance des dossiers du ministère des Affaires étrangères concernant les dialogues bilatéraux tenus depuis 1997 sur le thème des droits de la personne.

 

En septembre, il s’est déplacé à Beijing pour rencontrer : des représentants du gouvernement chinois et des membres d’organisations chinoises (y compris des éléments du Parti communiste chinois) ayant déjà participé à des dialogues sur les droits de la personne; des diplomates d’autres gouvernements ayant amorcé des dialogues comparables sur ce thème avec le gouvernement de la Chine; et certaines ONG chinoises dont le champ d’action touche les droits de la personne mais qui n’ont pas participé aux dialogues. Toutes les réunions tenues en Chine se sont déroulées en chinois et l’absence de représentants des ministères canadien ou chinois des Affaires étrangères, sauf pour une rencontre organisée au ministère chinois des Affaires étrangères, où était présent le conseiller aux affaires politiques de l’ambassade canadienne en Chine et où l’anglais a été utilisé.

 

En octobre et novembre, le consultant s’est rendu à Ottawa, à Toronto et à Montréal pour rencontrer des hauts fonctionnaires canadiens et des représentants d’ONG canadiennes s’intéressant aux dialogues.

 

Enfin, il a assisté à la neuvième ronde du dialogue, qui s’est tenue à Ottawa les 31 octobre et 1er novembre 2005. Les données d’entrevue présentées dans le rapport ont été recueillies avant la tenue cette neuvième ronde.

 

Le consultant avait précédemment assisté à la troisième ronde (à Winnipeg) et à la quatrième ronde (à Beijing) du dialogue, en sa qualité antérieure de conseiller aux affaires politiques de l’ambassade canadienne à Beijing. Il avait aussi participé à la cinquième ronde (à Ottawa), où, comme représentant de la société civile canadienne, il avait présenté un exposé sur la liberté religieuse au Canada.


3.      Introduction

 

« Cependant, en toute franchise, je dois vous dire que bien des Canadiens sont inquiets lorsque nous entendons dire que la liberté d'expression politique est restreinte dans votre pays. Nous sommes particulièrement inquiets lorsque nous apprenons que certaines personnes seraient harcelées et emprisonnées pour avoir exprimé des opinions politiques différentes de celles du gouvernement. »

Le Premier ministre Jean Chrétien, dans un discours prononcé à l’École d’économie et de gestion de l’Université Qinghua, à Beijing, Chine, le 20 novembre 1998

 

 

Le 14 avril 1997, le ministère canadien des Affaires étrangères diffusait son communiqué no 70 pour 1997, intitulé « Le Canada ne coparrainera pas une résolution sur les droits de la personne en chine soumise à l'ONU et annonce un ensemble d'initiatives bilatérales dans ce domaine », où l’on pouvait notamment lire ce qui suit :

 

Le 14 avril 1997, le ministre des Affaires étrangères, M. Lloyd Axworthy, et le secrétaire d'État (Asie-Pacifique), M. Raymond Chan, ont déclaré au nom du gouvernement du Canada que le Canada ne coparrainera pas une résolution sur la situation des droits de la personne soumise à une rencontre de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies à Genève.

« Le Canada reste très préoccupé par la situation des droits de la personne en Chine, notamment en ce qui concerne les libertés religieuses et les dissidents politiques », a déclaré M. Axworthy. « Nous avons constaté que le consensus des coparrains habituels s'affaiblissait considérablement et que la résolution n'aurait plus le même poids qu'au cours des dernières années. Dans les circonstances, nous avons conclu que le Canada influerait davantage sur la situation des droits de la personne en Chine en développant et en élargissant des mesures bilatérales déjà prometteuses. Grâce à un dialogue plus intense avec le gouvernement chinois, nous sommes parvenus à une entente sur la création d'un comité mixte qui se réunira au cours des prochains mois et qui se penchera sur tous les aspects des droits de la personne, et notamment sur la liberté de culte. »

 

 

C’est ainsi qu’a pris naissance en avril 1997 le dialogue bilatéral Canada–Chine, en vue d’encourager la Chine à faire des progrès sur diverses questions de droits fondamentaux. Ce dialogue comporte deux grands volets :

·        Volet bilatéral : Le Comité mixte des droits de la personne tient des réunions annuelles, en alternance au Canada et en Chine. Les délégations du Canada et de la Chine sont formées de fonctionnaires de niveau intermédiaire représentant divers ministères et organismes, des ONG et le milieu universitaire.

·        Volet régional : Comprend le Symposium plurilatéral sur les droits de la personne, dans le cadre duquel le Canada, la Norvège et la Chine accueillent en alternance une réunion où jusqu’à 20 pays du nord-est, du sud et du sud-est de l’Asie échangent des opinions sur diverses questions de droits de la personne.

 

En outre, le programme d’action du Canada en ce qui touche les droits de la personne en Chine est étayé par les projets de l’ACDI qui, de diverses façons (soutien à l’aide juridique, formation des juges, activités des ONG de la société civile chinoise, etc.), font la promotion des droits de la personne, d’une bonne gouvernance et du développement démocratique de la Chine. La Section politique de l’ambassade canadienne à Beijing soumet régulièrement au gouvernement chinois des requêtes au sujet des droits de la personne. En outre, le gouvernement canadien recourt à des institutions multilatérales, particulièrement la Commission des droits de l’homme de l’ONU, pour aborder la problématique des droits de la personne en Chine.

 

Depuis 1997, la politique canadienne sur les droits de la personne en Chine repose sur le credo fondamental que c’est par l’engagement, plutôt que par l’isolement, qu’on réussira à concrétiser une amélioration soutenue de la situation des droits de la personne en Chine. À la confrontation publique, ce processus bilatéral privilégie le dialogue privé et franc. Le dialogue, personnalisé par le Comité mixte Canada–Chine sur les droits de la personne, se tient en alternance au Canada et en Chine.

 

À ce jour, le Canada a tenu neuf de ces dialogues bilatéraux avec la Chine. Sauf pour la première ronde, chaque dialogue a compris une discussion officielle d’une ou deux journées, en plus d’une visite et/ou de rencontres connexes (d’une à trois journées) visant à examiner en profondeur certaines questions pertinentes touchant les droits de la personne. D’autres instances (ministères gouvernementaux, gouvernements locaux, autres agences gouvernementales, établissements pénitentiaires, hôpitaux et établissements de santé, organisations non gouvernementales, organisations communautaires) ont également participé à ces visites et rencontres connexes.

 

Voici un bref aperçu des sujets abordés à chaque ronde. Outre les sujets précis énumérés ci-dessous, l’ordre du jour de chaque ronde prévoit un survol de la situation des droits de la personne, tant en Chine qu’au Canada.

 

Première ronde – Juillet 1997. Ottawa.

Sujets : PIRDCP (Pacte international relatif aux droits civils et politiques), PIRDESC (Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels), droit pénal et traitement des prévenus, droits des minorités.

 

Deuxième ronde – Octobre 1997. Beijing.

Sujets : Droits des femmes et des enfants, droits des prévenus et nouveau code de procédure pénale, droits civils et politiques, coopération bilatérale sur les droits de la personne.

Visite : Province du Yunnan, pour étudier les minorités nationales et d’autres questions.

 

Troisième ronde – Novembre 1998. Winnipeg et Vancouver.

Sujets : Convention contre la torture, liberté de culte, règle de droit et indépendance de la branche judiciaire, égalité hommes-femmes et situation des femmes en milieu de travail.

Visite  : Whitehorse, pour étudier la dévolution des pouvoirs du gouvernement fédéral.

 

Quatrième ronde – Novembre 1999. Beijing.

Sujets : PIRDCP et PIRDESC (bilan des progrès réalisés vers la ratification), règle de droit (l’accent étant mis sur la problématique des prisons, la transparence de l’exécution et les agents de l’autorité), droits des femmes, droits des minorités, liberté de culte.

Visite  : Lhassa (visite d’une prison, rencontres avec des fonctionnaires régionaux sur la liberté de culte, relations hommes-femmes et population, développement économique, protection culturelle et environnementale).

 

Cinquième ronde – Octobre 2000. Ottawa.

Sujets : PIRDCP et PIRDESC (bilan des progrès réalisés vers la ratification), liberté de culte, problèmes des enfants.

Visite  : Iqaluit, pour étudier la dévolution des pouvoirs fédéraux et les problèmes en la matière, l’expérience et les défis associés au maintien des pratiques culturelles, la violence à l’encontre des femmes et l’administration des établissements pénitentiaires.

 

Sixième ronde – Novembre 2002. Beijing.

Sujets : Conditions de détention (plus précisément pour les détenus de sexe féminin), formation des agents de police, coopération internationale dans les droits de la personne, pratiques ouvrières.

Visites  : Beijing (visite d’un établissement pénitentiaire) et Urumqi pour étudier les minorités nationales, la liberté de culte et la liberté d’expression.

 

Septième ronde – Octobre 2003, Ottawa.

Sujets : Racisme, rôle de l’ONU dans le domaine des droits de la personne, PIRDESC et son protocole facultatif, droits de la personne et terrorisme.

Visite  : Vancouver, pour étudier la problématique autochtone au Canada.

 

Huitième ronde – Octobre 2004. Beijing.

Sujets : Mécanismes spéciaux de l’ONU et visites récentes, droits de la personne et terrorisme, protocole facultatif au PIRDESC, HIV/SIDA et droits de la personne.

Visite  : Beijing (visite d’hôpitaux et rencontres d’ONG), pour étudier la question du HIV/SIDA et les droits de la personne.

 

Neuvième ronde – Novembre 2005, Ottawa.

Sujets : Égalité (plus particulièrement dans le cas des minorités, des femmes et des immigrants), multiculturalisme et non-discrimination, violence et responsabilité policières.

Visites  : Ottawa (GRC, ministère de la Justice, Commission canadienne des droits de la personne), Montréal (table ronde avec des ONG à Droits et Démocratie, et visite de la Fondation canadienne des droits de la personne), Toronto (formation policière et plaintes du public).


4.      Perspectives de la Chine à l’égard des dialogues sur les droits de la personne

 

A.     Congrès populaire national, ministère de la Justice, ministère de la Sécurité publique, Procurat suprême du peuple, Fédération chinoise des femmes, Association chinoise des juristes

 

Dans leur travail, ces entités font face à des problèmes associés aux transformations engendrées par la commercialisation et la mondialisation de l’économie chinoise, et elles ont donc tout intérêt à tirer parti de l’expérience acquise par les pays étrangers industrialisés, dont le Canada, en diverses matières (organisation institutionnelle, lois, règlements, pratiques et procédures, etc.). Bon nombre de leurs représentants qui ont participé aux dialogues ont reçu une formation professionnelle, y compris des études supérieures suivies hors du pays. Voici les domaines de coopération avec l’étranger qui, à leurs yeux, ont été profitables pour leur travail :

 

À leur avis, la Chine a profité des échanges avec l’étranger en général, mais les dialogues sur les droits de la personne n’ont pas réussi à combler les besoins de leurs institutions, et ce pour les raisons suivantes :

 

Selon eux, le ministère des Affaires étrangères pourrait résoudre ces problèmes en jouant un rôle de coordination, au lieu d’accaparer la durée limitée des débats par la lecture d’exposés stéréotypés. Ainsi, les participants canadiens et chinois qui jouent un rôle concret dans la formulation des politiques et des programmes touchant les droits de la personne pourraient communiquer directement sur les sujets d’intérêt concret. On pourrait résoudre le problème de la superficialité et de la non-diffusion des dialogues en les arrimant plus étroitement à des projets complémentaires d’aide technique. Cela permettrait de prolonger le dialogue au-delà de la réunion d’une journée. Les sujets abordés lors des dialogues devraient être fixés en consultation avec les agences du gouvernement chinois qui ont pour mandat d’établir des programmes nationaux ayant trait aux droits de la personne. D’année en année, ces sujets devraient faire l’objet d’un suivi, afin de focaliser le dialogue sur les résultats plus pratiques qui exerceront une influence concrète sur le travail des agences chinoises concernées.

 

B.     Centre chinois de recherche en tibétologie, Administration d’État pour les affaires religieuses, Commission d’État pour les affaires ethniques

 

Ces organisations ont délégué des représentants aux dialogues bilatéraux tenus avec de nombreux pays (une des personnes interrogées a signalé avoir assisté à un total de seize dialogues), mais aucune n’a d’homologue comparable au Canada. Le Centre chinois de recherche en tibétologie est une branche du Département du Travail du Front uni du Comité central du Parti communiste chinois. Les deux autres organisations ont aussi un mandat à forte teneur de « front uni ». Ces trois agences exécutent un vaste travail de propagande destinée à l’étranger, en produisant des documents en de nombreuses langues étrangères et en accueillant régulièrement des délégations « d’amitié » provenant de pays étrangers. Un des grands volets de leur travail consiste à expliquer et à défendre, face aux étrangers, la politique et les pratiques du gouvernement chinois dans leur domaine de responsabilité. Pour ces agences, les dialogues sur les droits de la personne constituent de bons forums pour mettre en oeuvre cette facette de leurs mandats.

 

Ces agences reconnaissent que les dialogues ont permis aux gouvernements étrangers de mieux comprendre les politiques et pratiques de la Chine face aux questions ethniques et religieuses. Pour eux, les dialogues ont maintenant contribué à diminuer le nombre d’« interactions déplaisantes où les étrangers se contentaient de nous attaquer ». Bien que certains participants étrangers continuent d’avoir une attitude arrogante et insultante, au fil du temps les partenaires étrangers ont en bonne partie cessé de condamner et de critiquer leur travail, an adoptant « une attitude plus constructive ». Pour cette raison, les dialogues devraient se poursuivre.

 

Selon ces représentants officiels, cependant, les hautes instances du Parti communiste s’opposent vivement à la participation de leurs organisations aux dialogues sur les droits de la personne, en faisant valoir que leur pays n’a pas, pour des raisons de dignité nationale, à rendre des comptes à des étrangers au sujet de décisions de politique intérieure. En outre, il y aurait parmi les « masses populaires » un sentiment selon lequel le Parti en fait trop pour accommoder les minorités religieuses et ethniques. C’est pourquoi il serait problématique de publiciser à l’intérieur du pays la tenue et le contenu des dialogues sur les droits de la personne, puisque des pressions pourraient alors être exercées pour stopper le processus de dialogue. Une telle issue serait regrettable, puisque les dialogues sont à leur avis un bon mécanisme pour établir des voies de communication. Il serait préférable d’en préserver la nature confidentielle.

 

C.     Ministère des Affaires étrangères

 

Le MAE chinois indique qu’en comparaison avec les dialogues amorcés avec les autres partenaires, le dialogue sino-canadien est « un des meilleurs », qui démontre « moins de préjugés politiques à notre encontre ». Selon le point de vue chinois, il s’agit d’un dialogue « modèle ». En ce qui touche la coopération dans le choix des sujets et l’établissement de l’ordre du jour, la Chine entretient une bonne relation de travail avec l’ambassade canadienne, et il règne une excellente atmosphère productive.

 

Le MAE est au courant des reproches signalés par les participants chinois, et il est conscient des constantes réserves exprimées quant au caractère « creux » du dialogue (le mot anglais « hollow » a été utilisé, vraisemblablement comme équivalent de kongde, qui signifie également dire « vide » ou « sans contenu »). Le ministère chinois de l’Éducation a déjà indiqué au MAE qu’il n’autorisera plus son personnel à participer aux dialogues. Les doléances des organisations chinoises concernant l’absence de consultation préalable sur les sujets de discussion sont bien fondées. Le MAE convoque un mois à l’avance une séance de coordination, où il ne sonde pas l’opinion des autres unités; « nous leur disons simplement quoi faire ». Un des problèmes est que les participants canadiens proposent trop de sujets diversifiés. Cependant, ces organisations chinoises comprennent mal le but du dialogue et ne l’appréhendent que par l’étroite lorgnette de leurs propres intérêts institutionnels. Elles ne saisissent pas la finalité supposée du dialogue, qui se veut « d’abord et avant tout un dialogue politique/diplomatique, étroitement arrimé à la résolution des Nations Unies ».

 

Ces organisations « n’ont pas une compréhension exhaustive de l’importance politique » des dialogues bilatéraux sur les droits de la personne. C’est principalement une activité entreprise par le MAE chinois à des fins diplomatiques. Le MAE chinois est d’avis que s’il se contentait d’un rôle de coordination, les autres organisations chinoises gaspilleraient le temps des discussions en interminables interventions.

 

Le MAE chinois propose toutefois que pour mieux répondre aux besoins de tous, on divise le dialogue en deux parties :

 

Il existe des moyens techniques d’améliorer le déroulement des dialogues, comme par exemple échanger préalablement des documents écrits et préciser à l’avance les questions que chaque partie entend soulever durant le dialogue. Le MAE chinois a indiqué que des questions plus délicates pourraient être abordées si le Canada faisait preuve de sa bonne volonté, par exemple en versant une aide financière au comté de Yunnan, une région démunie que le MAE chinois a pour mandat d’aider. Un don de 60 000 $CAN est suggéré. En outre, la Division des droits de la personne du MAE chinois pourrait attirer des candidats plus solides si le Canada finançait la formation de ces diplomates, tant à court terme que pour des études de maîtrise dans des universités canadiennes. Cette aide financière pourrait également s’étendre à des jeunes fonctionnaires des ministères de la Sécurité publique et de la Justice. Cela permettrait de rehausser le climat de confiance et d’améliorer les relations de travail.

 

Il serait compliqué d’accroître la transparence du processus, puisque les laobaixing (littéralement les « cent vieux noms », c’est-à-dire les gens ordinaires) seraient mécontents d’apprendre l’existence de ce dialogue bilatéral. Tout communiqué de presse transmis aux médias étrangers finirait par être diffusé en Chine. Cependant, si le dialogue était plus « équitable » (pingdeng), il pourrait alors être davantage publicisé.

 

Selon le MAE, il faudrait mettre fin à la présentation de listes de cas préoccupants. Le fait que des étrangers exigent la libération de prisonniers chinois équivaut à une entrave au processus judiciaire chinois et à l’indépendance de la justice. La liste contient trop de noms, ce qui taxe indûment les ressources limitées du ministère de la Justice. En outre, le gouvernement canadien transmet des informations douteuses qui lui sont acheminées par les ONG. Parmi les détenus figurant sur la liste, il y a « trop de meurtriers et de poseurs de bombes ».

 

Le dialogue aurait davantage de retombées « si nous évitions les sujets politiquement sensibles ».

 

D.    ONG chinoises ne participant pas aux dialogues sur les droits de la personne

 

Aucune de ces ONG ne répond aux critères stricts fixés par le ministère chinois des Affaires civiles pour l’enregistrement des ONG indépendantes. Certaines sont enregistrées comme entreprises, certaines sont juridiquement (sinon de facto) des filiales d’ONG relevant du gouvernement comme la Fédération chinoise des femmes, certaines se prétendent des « instituts de recherche » universitaire même si leur fonction première est la propagande et l’exploitation de « lignes rouges téléphoniques », etc. La majorité d’entre elles préfèrent ne pas être nommées dans le présent rapport.

 

Selon le représentant d’une ONG chinoise, les vastes sommes d’argent consacrées aux activités que le gouvernement chinois présente comme contribuant à une meilleure concrétisation des engagements chinois en matière de droits de la personne ne génèrent aucune retombée réelle, puisque aucun élément fondamental du système politique chinois n’est remis en cause. Les autres représentants d’ONG que nous avons interviewés appuyaient malgré tout le dialogue bilatéral, qui est « mieux que rien ».

 

Toutes ces personnes aimeraient nouer un contact et faire des échanges avec leurs homologues des ONG canadiennes. Elles apprécieraient également une aide technique financée par le gouvernement canadien.


5.      Perspectives du Canada et des autres pays occidentaux à l’égard des dialogues

 

A.     Gouvernement

 

Parmi les représentants du gouvernement canadien, la question des dialogues bilatéraux sur les droits de la personne fait l’objet d’un solide consensus, qui cadre avec les opinions exprimées par les représentants d’autres gouvernements qui ont noué avec la Chine des dialogues comparables sur les droits de la personne. Le dialogue bilatéral sur les droits de la personne est jugé indispensable, puisqu’il offre aux gouvernements occidentaux une tribune où ils peuvent faire part de leurs préoccupations concernant les violations des droits de la personne en Chine. Cependant, certaines réserves sont exprimées quant à l’impact réel des dialogues.

 

·        Le MAE chinois accapare une trop grande partie du dialogue en lisant des déclarations formelles et stéréotypées, qui sont répétées tout au long de l’année lors des dialogues tenus avec divers pays.

·        Il y a peu d’arrimage entre les dialogues et les progrès réalisés sur le terrain; il est difficile de fixer des points-repères ou d’autres indicateurs de succès objectifs.

·        On constate un affaiblissement de l’engagement du MAE chinois envers les dialogues, puisqu’il a abaissé le niveau du chef de la délégation et réduit les effectifs de sa Division des droits de la personne.

·        En raison de la montée du nationalisme chinois, couplée à l’expansion de la puissance économique nationale, le gouvernement chinois « n’est plus disposé à se faire faire la leçon sur les droits de la personne ».

·        Les Chinois ont tendance à se faire prier pour prendre les arrangements relatifs aux dialogues, laissant ainsi entendre que « les pays occidentaux sont les demandeurs dans cette affaire ».

·        Le suivi donné aux listes de cas préoccupants n’est pas aussi complet que le Canada le souhaite, et la réceptivité des autorités chinoises varie considérablement d’une année à l’autre.

·        Le processus est l’objet d’un cynisme généralisé, et les participants souffrent de « dialoguite aiguë ».

·        D’un autre côté cependant, depuis le début des dialogues en 1997 la Chine a signé le PIRDCP et ratifié le PIRDESC (avec cependant une réserve extraordinaire sur la totalité de l’article 8), et ajouté à sa constitution nationale l’énoncé « l’État respecte et préserve les droits de la personne ».

 

B.     ONG canadiennes ayant participé aux dialogues

 

Ces ONG ont comme vocation première la défense des droits fondamentaux à l’intérieur du Canada, et leurs participants n’avaient généralement qu’une faible connaissance de la Chine.

 

Ces ONG appréciaient l’occasion qui leur était offerte de se rendre en Chine et de participer aux visites et autres activités prévues. À l’unanimité, elles déploraient l’insuffisance du briefing et du debriefing tenus par le MAECI. Leurs rapports avec leurs vis-à-vis chinois s’apparentaient davantage à ceux de « deux navires se croisant durant la nuit » qu’à un engagement concret. Aucune de ces ONG n’a eu de nouvelles de ses homologues chinois, après la réunion de dialogue bilatéral. À l’issue du dialogue, le MAECI ne semblait pas intéressé à poursuivre sa relation avec ces ONG.

 

Ces dernières estiment qu’elles pourraient offrir davantage aux dialogues futurs, grâce à leur contribution antérieure, mais aucun mécanisme ne semble prévu à cette fin.

 

C.     ONG canadiennes s’intéressant à des questions touchant les droits de la personne en Chine

 

Ces ONG doutent de l’utilité de poursuivre les dialogues, faute de preuve que ces derniers ont profité aux éléments chinois visés par leur travail et leurs préoccupations. Elles soupçonnent que la détermination du gouvernement canadien à promouvoir les droits de la personne en Chine est subordonnée aux impératifs d’un renforcement des liens commerciaux et économiques du Canada avec le régime communiste chinois.

 

La non-transparence du processus suscite une insatisfaction générale, particulièrement au sujet des listes de cas préoccupants.

 

Selon de nombreux intervenants, les dialogues bilatéraux pourraient en fait nuire à l’efficacité des mécanismes multilatéraux qui visent à encourager la Chine à mieux se conformer aux normes fixées par l’ONU dans le domaine des droits de la personne. Si l’on ne peut prouver l’efficacité des dialogues en établissant des repères significatifs, la majorité des intervenants estiment que le gouvernement canadien devrait y mettre fin et les remplacer par des programmes plus efficaces de promotion des droits de la personne en Chine.

 

Ces intervenants se disent toutefois encouragés d’avoir été invités par le MAECI à assister à une table ronde d’une journée en mai 2005, et par le fait que ce ministère finance la présente évaluation.

 

La majorité de ces ONG aimeraient contribuer plus directement aux initiatives du gouvernement canadien touchant les droits de la personne, y compris aux projets d’aide technique. Elles estiment posséder un riche savoir-faire (linguistique, culturel, etc.) dont le gouvernement canadien se prive.


6.      Constatations

 

A.     Détermination des sujets de dialogue

 

Les sujets proposés par le Canada sont déterminés au moyen d’une consultation entre d’une part la Division des droits de la personne et la Division de la Chine du MAECI, et d’autre part l’ambassade canadienne à Beijing. La Section des affaires politiques de l’ambassade achemine les suggestions canadiennes au MAE chinois, qui, après discussion, les avalise habituellement. Le MAECI signale toutefois que pour le plus récent dialogue, le gouvernement chinois a été plus proactif dans le choix des sujets.

 

Une fois l’ordre du jour établi, le MAE chinois convoque à une réunion les représentants des unités chinoises dont le champ de responsabilité correspond aux sujets figurant à l’ordre du jour. Durant cette réunion, le MAE chinois les avise des thèmes qui seront abordés et leur demande de faire des recherches sur les questions qu’ils pourraient poser à leurs vis-à-vis canadiens au sujet de la situation canadienne dans ces domaines.

 

Les participants chinois déplorent que les sujets abordés ne correspondent pas à leurs champs d’intérêt. Autrement dit, les organismes chinois se disent fortement intéressés à dialoguer sur certains des problèmes de droits de la personne qu’ils affrontent actuellement dans leur processus courant de formulation des politiques, mais ces problèmes ne figurent généralement pas à l’ordre du jour des dialogues. Comme le signalent des participants chinois, le MAE ne demande pas aux ministères chinois ni aux ONG relevant du gouvernement et qui ont la responsabilité de formuler des politiques dans des domaines touchant les droits de la personne leur avis sur les points qu’ils jugeraient le plus utile d’inscrire à l’ordre du jour. Le MAE chinois n’a pas le mandat de promouvoir le respect des droits de la personne sur le territoire chinois, mais bien de défendre les intérêts nationaux à l’étranger. Par conséquent, certains des intervenants chinois jugeraient préférable que le MAE chinois se contente d’un rôle de coordination, pour ensuite « se désengager et nous laisser avoir des échanges de fond avec nos homologues étrangers ».

 

Pour le MAE chinois, le dialogue est une concession que la Chine accorde au Canada pour que ce dernier s’abstienne d’appuyer chaque année, à Genève en mars, une résolution de la Commission des droits de l’homme de l’ONU condamnant la Chine. Aux yeux des Chinois, le processus de dialogue a pour but de permettre au gouvernement canadien de démontrer aux ONG canadiennes, et à l’ensemble des Canadiens qui se soucient de la situation des droits de la personne en Chine, que le Canada discute activement de la question avec les autorités chinoises. Ainsi, le MAE chinois perçoit le dialogue comme un mécanisme mis sur pied pour calmer des exigences exprimées sur la scène politique intérieure canadienne. Comme l’a indiqué le MAE chinois en réponse aux critiques formulées par des participants de l’extérieur du MAE, « Les autres unités n’appréhendent le dialogue que par l’étroite lorgnette de leurs intérêts particuliers. Il s’agit d’abord et avant tout d’un dialogue politique et diplomatique. »

 

Les participants chinois déplorent également d’une part la discontinuité des sujets proposés par le Canada d’année en année, et d’autre part la redondance des mêmes sujets dans les dialogues entrepris avec différents pays sur le thème des droits de la personne avec la Chine. Tous reconnaissent qu’à cause de cette discontinuité, aucun sujet ne peut faire l’objet d’une discussion suffisamment approfondie pour profiter le moindrement au développement démocratique de la Chine. Cela dit, ils conviennent que les dialogues aident quelque peu les participants chinois à acquérir une compréhension sommaire des façons de faire occidentales. Il est également évident, aux yeux des Chinois, que les dialogues amorcés avec divers pays occidentaux sont mal coordonnés par le MAE chinois. C’est pourquoi la teneur essentielle des dialogues est généralement répétitive pour les participants chinois qui sont tenus, par le MAE chinois, d’assister à ces divers dialogues bilatéraux. De l’avis des participants chinois, les dossiers soulevés par les délégations occidentales dans le survol annuel de la situation des droits de la personne en Chine sont généralement superficiels et répétitifs : Tibet, Xinjiang, Falungong, peine capitale, etc. Comme ces sujets débordent le champ de responsabilité professionnelle des participants, ils ne revêtent pour eux aucune pertinence. Les responsables de haut niveau, qui occupent les échelons supérieurs du Parti communiste chinois et disposent d’un pouvoir décisionnel à l’égard de ces questions, n’ont jusqu’à maintenant aucunement participé aux dialogues. Rien n’indique que les discussions tenues durant les dialogues à l’égard des questions jugées très importantes par les Canadiens dépassent la Division des organisations internationales du MAE chinois.

 

B.     Incidence du dialogue bilatéral en Chine

 

Le dialogue bilatéral est perçu par le Canada comme une forme d’engagement visant à promouvoir un meilleur respect des droits de la personne en Chine, dans l’espoir que ce dialogue amènera ce pays à mieux ajuster ses lois et pratiques aux normes universelles de droits de l’homme, telles que définies par le Canada. Mais la partie chinoise n’a pas d’attente réciproque envers la modification des lois et pratiques canadiennes. Cela dit, il est clairement dans l’intérêt des participants autres que le MAE de percevoir, parmi l’expérience supérieure du Canada en matière de droits fondamentaux, quels aspects peuvent profiter au développement de la Chine. Mais le mandat du MAE chinois, dans cet exercice, est de désamorcer le malaise étranger à l’égard du dossier des droits de la personne en Chine. Les intervenants chinois tendent généralement à qualifier de mal informées et de simplistes les interprétations critiques du Canada concernant l’approche chinoise en ce qui touche les droits de la personne. Ils contrent également les inquiétudes canadiennes à l’égard de violations particulières des droits de la personne en soulignant que les dossiers soulevés par les Canadiens concernent des situations que la Chine s’efforce activement de corriger par la voie administrative ou législative, ou encore que ces problèmes sont imputables au faible niveau de développement de leur pays et qu’ils se résorberont donc spontanément au fil de la modernisation de la Chine.

 

Mais cela ne signifie pas que l’établissement d’un dialogue avec la Chine sur les droits de la personne n’a pas de retombées positives. En général, les participants chinois mentionnent plusieurs dossiers de droits de la personne auxquels leur pays a donné suite en s’inspirant de l’expérience étrangère. On peut ici citer des percées aussi importantes que la présomption d’innocence dans la procédure pénale, l’adoption de lois contre la violence envers les femmes et contre le harcèlement sexuel, et la bonification des protocoles d’intervention policière et de gestion pénitentiaire. D’un autre côté, d’autres dossiers jugés préoccupants par le Canada (p. ex. liberté de culte, droits ouvriers, droits des minorités ethniques) continuent de stagner, même s’ils figurent constamment à l’ordre du jour des dialogues bilatéraux amorcés par la Chine avec plusieurs pays.

 

La mode de fonctionnement des dialogues compte deux parties. Tout d’abord, les deux gouvernements se présentent mutuellement des rapports-bilans sur les droits de la personne, qui abordent diverses questions : réponses de l’ONU à des rapports, rapports nationaux à des organes de mise en œuvre des pactes, visites de rapporteurs spéciaux, adoption de nouvelles lois touchant les droits fondamentaux, etc. Dans cette partie du dialogue, le Canada exprime ses préoccupations au sujet des cas de violation des droits de la personne en Chine qui lui ont été signalée durant l’année. Les participants chinois estiment qu’il s’agit là d’une procédure plutôt pro forma, les mêmes questions y revenant d’année en année : Tibet, Falungong, censure d’Internet, détention arbitraire dans les camps de rééducation, peine capitale, etc. Les réponses chinoises sont tout autant pro forma et varient rarement au fil des ans. Néanmoins, comme l’a fait remarquer un participant canadien, si ce n’était du dialogue bilatéral sur les droits de la personne le Canada n’aurait pas de tribune institutionnelle importante pour présenter directement à la Chine ses préoccupations constantes en matière de droits de la personne.

 

La seconde partie consiste en des discussions sur des thèmes précis, suivies de visites reliées à ces thèmes. Par exemple, lors du neuvième dialogue, les sujets abordés étaient les suivants : « L’égalité (plus particulièrement dans le cas des minorités, des femmes et des immigrants), le multiculturalisme et la non-discrimination » (avec la présentation d’exposés de Justice Canada et de Patrimoine Canada); et « Violence et responsabilité policières » (avec des exposés de la GRC). Le MAE chinois a donc vu à ce que des représentants du Procurat suprême du peuple, du ministère de la Sécurité publique, du ministère de la Justice, de la Commission d’État pour les Affaires ethniques et de la Fédération chinoise des femmes se rendent au Canada. Tous ces représentants étaient des vétérans des multiples dialogues entrepris sur les droits de la personne avec divers pays au fil des ans.

 

L’impact des exposés canadiens sur la formulation des futures politiques du gouvernement chinois dans ces domaines est intrinsèquement limité par la structure même de l’exercice. Ainsi, durant la matinée de la deuxième journée du neuvième dialogue, toute la délégation chinoise a assisté à un exposé sur l’« intervention policière et la gestion d’incidents », donné par l’inspecteur de la GRC chargé de la formation tactique des nouvelles recrues. Il a présenté un diaporama PowerPoint très convaincant, préparé à partir du matériel de formation destiné aux nouveaux agents de la GRC, qui portait sur les divers degrés de force devant être appliqués par les autorités policières dans différentes situations. Cependant, ce diaporama était d’un intérêt très relatif pour les représentants de la Commission d’État pour les Affaires ethniques ou de la Fédération chinoise des femmes, qui y ont consacré toute leur matinée. Dans le même esprit, le diaporama s’est avéré trop simpliste pour les hauts fonctionnaires du Procurat suprême du peuple, du ministère de la Sécurité publique et du ministère de la Justice, qui ont de hautes compétences dans ce domaine et une longue expérience internationale, et qui ne l’ont donc pas trouvé très utile.

 

Les participants chinois se plaignent de la superficialité des exposés présentés par la délégation canadienne et de la méconnaissance du fait chinois par les participants canadiens, qui ne peuvent donc présenter une information pertinente pour les besoins chinois. Ils déplorent également que le dialogue ne touche qu’un petit nombre de personnes. De plus, la documentation fournie par les Canadiens est généralement de nature générique et rédigée uniquement en anglais et en français, sans version chinoise, ce qui en complique la diffusion en amont aux hautes instances chargées de la formulation des politiques, puisque la plupart des hauts fonctionnaires chinois ne peuvent lire les documents écrits en langue étrangère. Les participants chinois déplorent aussi que les dialogues antérieurs n’étaient assortis d’aucun mécanisme de suivi.

 

Il se peut toutefois que des correctifs soient apportés dans les futurs dialogues bilatéraux, puisque l’ACDI a la ferme intention d’organiser des activités de suivi complémentaire. Le gouvernement chinois a déjà proposé au Canada d’instaurer des programmes de suivi dans trois domaines choisis par les ministères de la Justice, de la Sécurité publique et des Affaires étrangères.

 

C.     Transparence et participation des ONG

 

Avant et après les dialogues, les ONG canadiennes participent par téléconférence à un briefing confidentiel. Elles se disent toutefois insatisfaites des briefings antérieurs, en raison de l’imprécision des informations fournies sur les points abordés par le gouvernement lors des dialogues. Elles reprochent généralement au MAECI de participer à cet exercice pour la forme seulement, et indiquent que le dialogue bilatéral a dans l’ensemble un effet négatif sur la promotion de la justice sociale en Chine et représente une entrave aux processus officiels instaurés par l’ONU dans ce domaine.

 

Cela dit, le neuvième dialogue comprenait un atelier organisé à Droits et Démocratie à Montréal, et auquel ont participé les ONG canadiennes invitées. En marge du huitième dialogue (à Beijing), lors d’une table ronde tenue à l’ambassade canadienne, la délégation canadienne a pu rencontrer des ONG chinoises qui n’avaient jusque-là participé à aucun dialogue bilatéral.

 

Le MAE chinois serait disposé à ce que des ONG canadiennes participent à de futurs dialogues en Chine, mais il juge certaines ONG indésirables.

 

Après le neuvième dialogue, le MAECI et le MAE chinois ont pour la première fois publié des déclarations sur le dialogue. Ces déclarations ont rejoint un vaste auditoire en Chine, où elles ont été diffusées par le service chinois de Voice of America, très écouté en Chine.

 

D.    Liste des « cas préoccupants »

 

Les neuf dialogues organisés jusqu’à maintenant ont tous donné lieu à la présentation d’une liste de « cas préoccupants », énumérant des personnes actuellement détenues en Chine dans des prisons ou des camps de rééducation. Il s’agit de personnes qui, selon les Canadiens, se sont adonnées en Chine à des activités politiques ou religieuses qui n’auraient pas été jugées illégales au Canada; des activités qui, toujours aux yeux des Canadiens, auraient dû être couvertes par les pactes de l’ONU relatifs aux droits fondamentaux. Pour cette raison, les Canadiens sont d’avis que ces individus sont peut-être injustement détenus par les autorités chinoises. Certains de ces individus ont été condamnés au pénal, mais nous estimons alors que leur cas mérite un examen plus approfondi de la part des autorités chinoises, puisque le principe de l’application équitable de la loi par un appareil judiciaire impartial n’est pas encore pleinement mis en œuvre en Chine, et parce que les règles de preuve appliquées en Chine ne sont pas encore à la hauteur des normes internationales. À ce jour, le gouvernement chinois n’a présenté aucune liste correspondante d’individus dont l’incarcération au Canada préoccupe la population chinoise.

 

Le MAE chinois a prié le Canada de ne plus demander d’information sur ces « cas préoccupants », en faisant valoir que le fait, pour le Canada, de demander au gouvernement chinois de reconsidérer l’incarcération de certains citoyens chinois est incompatible avec le principe de l’indépendance judiciaire.

 

De son côté, le gouvernement canadien estime que la présentation de ces noms au gouvernement chinois permet de sensibiliser ce dernier à l’inquiétude ressentie par la population canadienne au sujet des ressortissants chinois qui semblent être emprisonnés pour des motifs politiques et non criminels. Cela peut encourager les autorités chinoises à améliorer les conditions de détention de certains des détenus nommés et à leur accorder une libération anticipée, mais on il est impossible d’établir un lien direct entre la présentation des listes de détenus et les conditions ou la durée de leur incarcération.


 

E.     Quelques observations générales

 

Tant les participants du gouvernement canadien que leurs homologues chinois ont des ressources limitées à consacrer à ces dialogues, en raison des besoins pressants qu’ils doivent satisfaire dans de nombreux autres domaines de responsabilité. Les deux gouvernements reconnaissent l’insuffisance des ressources allouées à cette activité bilatérale. Si l’on souhaite améliorer la forme et le fond des dialogues afin de répondre plus efficacement aux besoins de la Chine en ce qui touche la formulation des politiques reliées aux droits de la personne, il faudrait que le MAECI, l’ambassade canadienne et les autres agences gouvernementales canadiennes concernées allouent à cette activité considérablement plus de ressources et de compétences spécialisées. Dans les conditions actuelles, c’est là une hypothèse peu vraisemblable. De la même façon, le MAECI et l’ambassade n’ont pas les ressources nécessaires pour organiser des activités de suivi significatives permettant d’étoffer les programmes de défense des droits de la personne découlant des dialogues et de faire participer davantage d’intervenants-clés chinois aux événements reliés au dialogue, tout au long de l’année. L’ACDI a affecté des ressources aux dialogues par le passé, mais cet organisme n’a accordé qu’une aide financière et humaine limitée, quoiqu’il ait établi et continue d’établir de nombreux programmes se rapportant aux droits de la personne, dans le cadre de son mandat de promotion du développement de la Chine. Cela dit, l’ACDI a indiqué qu’elle serait à l’avenir fortement intéressée à contribuer davantage aux dialogues et à mieux coordonner ceux-ci avec ses programmes de promotion des droits de la personne. Dans l’esprit de l’« approche pan-gouvernementale » d’amélioration de l’efficacité des dialogues, il semble logique de faire davantage appel aux ressources spécialisées de l’ACDI, en application de son mandat de renforcement des capacités sous le volet « bonne gouvernance, développement démocratique et droits de la personne », de façon à étayer la participation du MAECI, des autres organismes gouvernementaux et des ONG canadiennes au dialogue bilatéral Canada–Chine sur les droits de la personne.
Remerciements

 

À Ottawa, Henri-Paul Normandin et Deborah Chatsis, de la Division des droits de la personne du ministère des Affaires étrangères, ont fait preuve d’une hospitalité sans faille et d’une bienveillante indulgence. Chantal Meagher, de l’ambassade canadienne à Beijing, de même que son adjointe Xia Zhishun, n’ont pas compté leur temps pour coordonner mes réunions durant mon séjour de six jours à Beijing. Mme Xia a pu organiser toutes les réunions souhaitées; je lui en suis extrêmement reconnaissant. Carole Samdup, de Droits et Démocratie à Montréal, a coordonné mes réunions avec les ONG canadiennes s’intéressant à la défense des droits de la personne en Chine, et m’a donné de sages conseils. Je les remercie tous et toutes pour leur amitié et leur sincère détermination à mener à bon port ce projet. En tout, 37 Canadiens, 31 Chinois et six personnes d’autres nationalités (soit 74 personnes en tout) ont bien voulu me consacrer de leur précieux temps pour me rencontrer et répondre à mes questions. Malgré la nature souvent délicate des interactions qui sous-tendent les dialogues bilatéraux, toutes les personnes que j’ai rencontrées dans le cadre de ce projet m’ont démontré une indéfectible bonne volonté. Je pense plus particulièrement aux représentants du ministère chinois des Affaires étrangères, qui ont souligné leur solide appui à cette évaluation et m’ont parlé avec franchise et ouverture, tout en encourageant activement les autres agences chinoises concernées à me recevoir durant mon séjour à Beijing.

 

Ce rapport contient certainement des erreurs et des lacunes. J’espère que les lecteurs prendront soin de me les signaler à l’adresse figurant sur la couverture de ce document. Bien que commandé et avalisé par le ministère des Affaires étrangères du Canada, ce rapport ne représente pas nécessairement l’opinion du gouvernement canadien.

 

Toute personne, peu importe sa nationalité, sa culture, son niveau de développement économique ou son idéologie politique, a droit au respect de ses droits fondamentaux. J’espère que ce rapport enrichira les discussions et fera progresser la cause de la justice sociale transnationale par une application effective des droits de la personne, tels qu’ils sont définis par la Déclaration universelle des droits de l’homme et les pactes applicables de l’ONU.

 

Charles Burton